« On vise un fonctionnement démocratique », un terme qui parait presque désuet quand on l’emploie pour parler d’organisation interne. On préfère parler de valeurs de « participation », « d’horizontalité », de « gouvernance partagée » pour parler de la répartition des pouvoirs. Et pourtant la démocratie comme idéal imprègne aussi nos collectifs. C’est pourquoi, dans cette lettre, j’aimerais tirer le fil qu’on appelle « démocratie » – et qui va de notre régime politique national, jusqu’aux rapports de pouvoir dans nos organisations.
La démocratie représentative en galère
Avec le printemps, on voit poindre la campagne des prochaines élections européennes. Ça vient pour moi avec une boule au ventre à l’idée de voir l’extrême droite gagner du terrain. Et avec ça, un sentiment d’impuissance face aux projets écologiques et sociaux qui risquent de se voir broyer par la grosse machine du système législatif européen.
(Si ce sentiment te parle, je te recommande vivement la série Parlement diffusée sur Arte. Elle adresse très bien l’absurdité du fonctionnement de l’Union européenne. Et au fil des saisons, on peut y voir une vraie réflexion sur LE politique qui est tout autre chose que LA politique.)
Doit-on pour autant arrêter de croire à la démocratie ? Ou doit-on la défendre telle qu’elle est, coute que coute, par peur de toute alternative ?
À ces deux questions, j’ai envie de répondre : « non ». Et j’aimerais plutôt qu’on s’interroge sur la démocratie représentative.
Car c’est bien souvent là qu’est le problème : dans la supposée représentativité de nos dirigeant⋅e⋅s. Et dans le fait de croire qu’élire des représentant⋅e⋅s politiques est suffisant pour vivre en démocratie.
L’idée de démocratie représentative, me renvoie aux élections des délégués de classe à l’école (qui sont censées apprendre aux enfants la démocratie). On délègue à une ou 2 personnes la vie démocratique de la classe. Les délégué⋅e⋅s ont un pouvoir limité, mais iels vont pouvoir entrer dans une dimensions politique tout au long de l’année (au conseil de classe par exemple.) Mais le reste des votants ne le fait que le jour des élections.
À l’échelle de la France, c’est (étrangement) similaire. On parle de campagne, on parle de débat, on stigmatise l’abstention.
Mais, qu’on vote ou non, l’engagement politique se vit aussi au quotidien, dans des luttes politiques.
Bien sûr, on peut se dire que la démocratie en France, se vit aussi localement. Et c’est vrai, il y a une volonté et des moyens alloués à ce que des décisions soient prises par d’autres personnes que les représentant⋅e⋅s élu⋅e⋅s. C’est là qu’entre en scène …
La démocratie participative à la rescousse
Donner la parole aux citoyen⋅ne⋅s, leur permettre de donner leur avis, de participer aux décisions politiques : C’est la belle promesse de la démocratie participative. Elle est ainsi posée comme remède à un système représentatif malade.
Mais au delà du fait que le terme est un pléonasme (« démocratie » c’est la participation du peuple, pourquoi on est obligé de le préciser ?), ce type de dispositif pose tout un tas de problème. Ces questions sont très bien détaillées dans le récent livre de Manon Loisel et Nicolas Rio, En finir avec la démocratie participative.
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Je retiens de cette lecture plusieurs écueils de ces dispositifs aux intentions souvent louables :
- Ce sont les mêmes personnes qui votent aux élections, et participent aux consultations citoyennes. Les dispositifs sont censés faire entendre d’autres voix – pour corriger les inégalités de participation en politique. Mais dans les faits, on y retrouve les mêmes profils homogènes (retraités, diplômés, etc.) qui donnent leur avis une deuxième fois. Face à une majorité éloignée des dispositifs de participation citoyenne, et déjà oubliée des politiques publiques.
- Il existe bien les dispositifs de démocratie directe, où l’objectif est de supprimer les intermédiaires dans les prises de décisions et où un panel de citoyens est sélectionné pour être représentatif de la société (par tirage au sort par exemple). Or, dans les différentes expérimentations (comme la Convention Citoyenne pour le Climat), on a vu que les propositions issues de ces dispositifs, n’ont pas abouties à des prises de décisions de nos dirigeants, ni à des changements politiques.
- Finalement, la démocratie participative sert d’abord au « glamour » de la démocratie représentative. Elle en masque les dysfonctionnements, sans les adresser en profondeur.
Et après ça, la démocratie « par le bas » ?
Alors, est-ce qu’on arrête de parler de démocratie dans nos collectifs ? Peut-être pas …
À l’échelle de nos organisations, on peut éviter de tomber dans les écueils évoqués ci-dessous, en repérant certains schémas qui répètent ce qui se vit en politique nationale. Comme par exemple :
- Comme en démocratie représentative, considérer les délégués syndicaux comme « ceux qui s’y connaissent en politique », qui « savent aller au conflit », et leur déléguer complètement tout ce pan de la vie d’entreprise.
- Ou comme en démocratie participative, mettre dans des instances de décisions des personnes concernées, d’habitude éloignées de la gouvernance. Mais sans s’assurer que leur parole soit prise en compte. Ni que les conditions soient réunies pour que leur participation permette l’émergence de conflit.
À la place, on peut s’atteler à mettre en pratique une démocratie « par le bas ». C’est une des ambitions de l’éducation populaire.
(Du mal à voir le lien entre démocratie et éducation populaire ? C’est expliqué dans cette vidéo et article)
Concrètement, ça signifie mettre en place et faire vivre des espaces de conflits. Des temps où les intérêts contradictoires peuvent s’exprimer, dans un contexte qui facilite ça. C’est aussi donner la place aux récits, à la parole des personnes trop peu écoutées. Se questionner sur le pouvoir qu’on a et comment en lâcher pour en laisser aux autres. Revoir la manière dont on prend des décisions en questionnant le consensus.
Ce sont des pratiques exigeantes, qui viennent avec leur lot d’injonctions, et de risques d’épuisement. il s’agit d’y aller pas à pas en prenant soin du collectif, de ses espaces. Rejoindre les personnes là où elles sont.
Mais c’est aussi la perspective de se sentir mieux en allant voter (ou en s’abstenant), et de vivre la politique au quotidien.